• Liaisons Sociales Europe, Nº 101, 10 mars 2023
  • Santé au travail
  • L’inquiétante exposition des travailleuses européennes aux « attentions sexuelles non désirées »
Liaisons Sociales Europe, 101, 10/03/2023
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L’inquiétante exposition des travailleuses européennes aux « attentions sexuelles non désirées »

L’inquiétante exposition des travailleuses européennes aux « attentions sexuelles non désirées »

Publiée le 08/03/2023

  • La rédaction de Liaisons sociales Europe
  • En cette journée internationale du droit des femmes, les résultats de la dernière enquête « conditions de travail », réalisée par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound), montrent à quel point les femmes subissent des comportements sociaux défavorables en particulier des « attentions sexuelles non désirées ».
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L’enquête d’Eurofound, conduite exceptionnellement par téléphone entre février et novembre 2021, repose sur 70 000 entretiens menés dans 36 pays, ce qui en fait l’enquête de référence au niveau européen. Elle met en évidence la persistance d’inégalités entre les femmes et les hommes en matière d’emploi, de travail et d’interaction entre vie professionnelle et vie privée. « La ségrégation dans le domaine de l'emploi, qu'elle soit sectorielle, professionnelle et sur le lieu de travail, ainsi que la répartition inégale du travail rémunéré et non rémunéré, limitent la participation des femmes au travail rémunéré ainsi que leurs perspectives de carrière, ce qui nuit à leur sécurité financière, aujourd’hui comme à l’avenir ».

Ensuite, l’enquête a cherché à évaluer quels travailleurs sont exposés, sur leur lieu de travail, à des comportements sociaux défavorables. Autrement dit, des cas d'intimidation, de harcèlement, de violence, d'abus ou de menaces verbales, et d'attention sexuelle non désirée (qui peut se rapprocher de la définition des comportements sexuels non désirés).

Trois fois plus de femmes exposées à des attentions sexuelles non désirées

En moyenne, 12,5 % des travailleurs de l'UE ont été victimes d'une forme de comportement social défavorable au travail en 2021 ; toutefois, la proportion de femmes victimes de comportements sociaux défavorables au travail (14,6 %) était en moyenne supérieure à celle des hommes (10,8 %) et ce systématiquement, quel que soit le type de comportement en cause. L'écart entre les sexes est particulièrement élevé lorsqu'il s'agit d'attention sexuelle non désirée.

À la question de savoir si « au cours du mois dernier, pendant votre travail, avez-vous fait l'objet d'un des comportements suivants : des attentions sexuelles non désirées, 2,9 % des femmes répondent par l’affirmative. On imagine le score si la question portait que les 12 derniers mois. Ainsi, les femmes sont 3,6 fois plus susceptibles de subir des attentions sexuelles non désirées que les hommes. De plus, la probabilité qu'une jeune femme (18-34 ans) signale une attention sexuelle non désirée au cours du mois précédent l’enquête est plus élevée (5,6 %) et est trois fois plus importante que celle des hommes du même âge (1,7 %), et dix fois plus élevée que celle des hommes les plus âgés (50 ans et plus).

Les plus exposées sont les travailleuses de première ligne

Dans leur article analysant les résultats de l’enquête, Agnès Parent-Thirion et Viginta Ivaškaitė-Tamošiūnė ajoutent que « la situation en matière d'attention sexuelle non désirée est particulièrement aiguë pour les travailleurs de première ligne » et en particulier dans les professions fortement féminisées. Ainsi, « les travailleurs de la santé ont signalé des niveaux d'attention sexuelle non désirée jusqu'à trois fois plus élevés que la moyenne de l'UE (5,7 % contre 1,7 % pour l’ensemble des secteurs), suivis par les travailleurs du secteur des soins et services sociaux (4,7 %) et du commerce (3,6 %). A titre de comparaison, « seuls 0,3 % des professionnels de l'information et de la communication ont fait état d'attentions sexuelles non désirées ».

L’étude mesure aussi l’impact sur la santé. Et les résultats sont plus qu’inquiétant : les personnes qui subissent un comportement social défavorable sur le lieu de travail sont environ trois fois plus susceptibles de souffrir d'épuisement physique et émotionnel (32 % contre 10 %) et d'épuisement émotionnel (40 % contre 14 %), et presque deux fois plus susceptibles de souffrir d'anxiété (53 % contre 27 %) ou d'être exposées à un risque de dépression (38 % contre 20 %). L’exposition à ces risques peut avoir un impact à long terme sur les individus – les effets pouvant durer des années après l'incident initial – et également affecter leurs familles, leurs collègues, leurs employeurs et les cercles sociaux plus larges en général. Bref, le nombre de victimes directes, majoritairement des femmes, et indirectes, se chiffrent en dizaine de millions. Les actions contre la violence à l’égard des femmes, et la violence sexuelle en particulier, doivent être menées à tous les niveaux face à l’ampleur de phénomène et son impact destructeur. La proposition de directive sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, adoptée par la Commission européenne en mars 2022 ne suffira pas.