• Olivier Thibaud, avocat associé, cabinet Fromont Briens : « Il n’existe plus aucune disposition prévoyant une prise en charge de l’expertise sur la participation par l’employeur »
Exclu web
Liaisons-sociales.fr

Olivier Thibaud, avocat associé, cabinet Fromont Briens : « Il n’existe plus aucune disposition prévoyant une prise en charge de l’expertise sur la participation par l’employeur »

Olivier Thibaud, avocat associé, cabinet Fromont Briens : « Il n’existe plus aucune disposition prévoyant une prise en charge de l’expertise sur la participation par l’employeur »

Mis à jour le 08/11/2021

  • La rédaction de liaisons-sociales.fr
  • Avocat associé au sein du cabinet Fromont Briens, Olivier Thibaud revient sur la position retenue par le Tribunal judiciaire de Nanterre en octobre dernier au sujet de la prise charge des frais de l’expertise en matière de participation qui, selon les juges, incombe au CSE et non à l’employeur comme c’était le cas avant les ordonnances Macron. Eclairage…
Portée

Olivier Thibaud, avocat associé, cabinet Fromont Briens

Liaisons Sociales : Quels sont les droits à information du CSE en matière de calcul de la participation ?

Olivier Thibaud : Dans les six mois suivants la clôture de chaque exercice, l’employeur doit présenter au CSE ou à la commission spécialisée un rapport relatif à l’accord de participation. Ce rapport comporte notamment les éléments servant de base au calcul du montant de la réserve spéciale de participation des salariés pour l'exercice écoulé, et des indications précises sur la gestion et l'utilisation des sommes affectées à cette réserve.

L’employeur est tenu à une simple obligation d’information, et qu’il n’y a donc pas lieu de consulter le CSE à ce sujet. Cette information doit ainsi être distinguée de l’information-consultation sur la situation économique et financière, d’autant que le Code du travail prévoit que les questions relatives à ce rapport font l’objet de réunions distinctes ou d’une mention spéciale à son ordre du jour.

LS : Le CSE dispose-t-il de la possibilité de se faire assister par un expert ?

O. T. : Le CSE peut se faire assister d’un expert-comptable pour faciliter la compréhension du rapport et du calcul de la participation pour l’exercice concerné. Cette expertise peut être qualifiée d’expertise légale, à distinguer des expertises dites libres dont le cas de recours n’est prévu par aucun texte.

Cela implique que l’expert-comptable devrait en principe pouvoir accéder aux documents et informations nécessaires à son expertise, et que ces derniers doivent être mis à disposition par l’employeur. Le champ d’investigation de l’expert du CSE est cependant strictement encadré. L’expertise ne doit pas donner lieu à une vérification ou un audit des comptes de la société puisqu’il s’agit d’une prérogative qui relève du commissaire aux comptes. Elle doit se limiter à rendre intelligible aux élus le calcul du montant de la réserve spéciale de participation et expliciter les modalités de gestion, d’utilisation et de répartition des sommes affectées à cette réserve.

En pratique, l’expert présente le plus souvent aux élus un rapport succinct expliquant essentiellement les différents éléments de la base de calcul de la réserve spéciale de participation et les modalités de répartition des sommes, le cas échéant.

LS : Qui doit prendre en charge le coût de cette expertise ?

O. T. : Avant la réforme de 2017, par l’effet d’un renvoi d’articles du Code du travail, il était admis que l’employeur devait intégralement prendre en charge le coût de cette expertise. Par un arrêt du 28 janvier 2009 (nº07-18.284), la Cour de cassation avait ainsi retenu le principe d’une prise en charge intégrale du coût de cette expertise par l’employeur. Cette décision se concevait puisque l’ancien article R.442-19 al.5 du Code du travail, organisant le recours à un expert dans le cadre de l’information sur la participation, renvoyait à l’expert-comptable de l’ancien article L.434-6, dont il était expressément prévu au même article qu’il était rémunéré par l’employeur.

Ce mécanisme a été naturellement maintenu dans le cadre de la recodification de 2008, dont il doit être rappelé qu’elle est intervenue à droit constant. Les anciens articles précités sont devenus respectivement les articles D.3323-14 et L.2325-40, ce dernier étant intégré dans une sous-section 1 intitulée « Experts rémunérés par l'entreprise ». La position de la Cour de cassation selon laquelle cette expertise devait être prise en charge par l’entreprise, apparaissait donc conforme à l’état du droit.

La situation a néanmoins évolué à l’occasion de la suppression des comités d’entreprise et de la mise en place des comités sociaux et économiques, dans le cadre des ordonnances Macron de 2017, qui n’ont pas conservé ce mécanisme de prise en charge.

LS : Ou en est-on aujourd’hui ?

O. T. : En l’état des textes, il n’existe plus aucune disposition prévoyant une prise en charge de cette expertise par l’employeur. Surtout, le régime de financement des expertises résulte dorénavant exclusivement des articles L.2315-80 et L.2315-81 du Code du travail, qui distinguent les expertises prises en charge à 100 % de celles dont le coût est partagé avec le CSE et des expertises rémunérées exclusivement par le CSE. Or aucun des cas visés par l’article L. 2315-80 ne fait référence à l’expertise diligentée par le CSE au titre de la participation. C’est d’ailleurs la position qui a été retenue par le Tribunal judiciaire de Nanterre dans trois décisions rendues le 8 octobre 2021, faisant droit à la demande de l’employeur visant à ce que l’expertise sur la participation soit prise en charge en intégralité par le CSE central (TJ Nanterre, 8 octobre 2021, nº 21/01569, 21/01606 et 20/02135). Il s’agit à notre connaissance de la première décision d’un juge du fond sur cette problématique depuis la réforme de 2017, et qui sera très certainement soumise au contrôle de la Cour de cassation.

LS : Quels étaient les arguments soulevés par le CSE et son expert dans le sens d’une prise en charge intégrale de l’expertise par l’entreprise ?

O. T. : Le CSE Central et son expert-comptable opposaient à l’employeur que les nouvelles règles avaient laissé subsister le renvoi par l’article D.3323-14 à l’article L.2325-40, ce qui témoignerait selon eux de sa volonté de maintenir le mécanisme antérieur de prise en charge, peu important que ce dernier article ait été abrogé et non repris, même sous une autre forme d’ailleurs.

Cet argument a été écarté par le Tribunal, à raison selon moi. En effet, il faut avoir en tête que la réforme de 2018 n’est pas intervenue à droit constant mais que le gouvernement puis le législateur ont voulu instituer une nouvelle instance, le CSE, régie par ses règles propres. Les différences entre règles de fonctionnement du CE et du CSE sont nombreuses. Concernant le coût de l’expertise, chacun pourra relever que les textes et leur architecture ont été totalement repensés et que le législateur a supprimé la référence générale à un expert-comptable rémunéré par l’employeur, pour lui préférer une liste limitative de cas dans lesquels la mission doit être rémunérée par l’entreprise, intégralement ou de façon partielle. De même, le Code du travail n’a pas conservé l’architecture antérieure autour d’une sous-section 1 intitulée « Experts rémunérés par l'entreprise ». L’analogie avec les règles précédemment en vigueur apparaissait donc à mon sens infondée.

D’ailleurs, si l’on admettait pour les seuls besoins du raisonnement le principe d’une prise en charge par l’employeur, se poserait ensuite la question du niveau de cette prise en charge : 100 % ou 80 % ? L’impossibilité de répondre de façon évidente à cette question, dans la mesure où l’expertise sur la participation ne se rattache à aucune de ces deux hypothèses, conforte la position selon laquelle le législateur n’a pas souhaité conserver ce mécanisme de prise en charge.

LS : Quelles sont les conséquences des décisions du Tribunal judiciaire de Nanterre sur les expertises relatives à la participation ?

O. T. : Ces décisions n’ont pas de conséquences en tant que telles sur le déroulé de l’expertise et les pouvoirs de l’expert : celui-ci devrait toujours pouvoir demander à l’employeur la communication des documents et informations nécessaires à son expertise, qui serait tenu de les lui mettre à disposition, sous les réserves habituelles. En revanche, le CSE devrait prendre en charge intégralement ses honoraires, sur son budget de fonctionnement. On relèvera également que le mécanisme de prise en charge intégrale de l’expertise par l’employeur en cas d’insuffisance du budget de fonctionnement du CSE, prévu pour les expertises dont le coût est partagé, n’aurait manifestement pas vocation à s’appliquer à ce cas de figure, en l’absence d’un tel partage prévu par les textes.

LS : Ces décisions impactent-elles les autres sujets susceptibles d’être concernés par les expertises ?

O. T. : La question de la prise en charge de l’expertise sur la participation n’a en principe pas vocation à impacter directement les autres expertises, dans la mesure où leurs modalités de financement sont expressément prévues par les articles L2315-80 et L2315-81 du Code du travail. Néanmoins, la pratique habituelle de certains CSE et experts visant à intégrer l’expertise sur la participation dans l’expertise sur la situation économique et financière doit être surveillée de près voire contestée, puisque les modalités de prise en charge financière diffèrent. Les entreprises devront donc veiller à ce que les expertises sur la situation économique et financière n’intègrent pas abusivement de travaux sur le calcul de la participation, et a fortiori sur le calcul de l’intéressement, et ainsi faire indûment peser la prise en charge de ces honoraires sur l’entreprise. Il convient toutefois de garder en tête que cette question sera très certainement soumise à la Cour de cassation de sorte que la position retenue par la juridiction de Nanterre, aussi pertinente qu’elle puisse être, ne doit pas être prise pour définitive.

Propos recueillis par J-F. Rio