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11 millions de travailleurs « invisibles » sous contraintes

11 millions de travailleurs « invisibles » sous contraintes

Publiée le 30/04/2024

  • La rédaction de liaisons-sociales.fr
  • Précarité, pénibilité, parentalité, territorialité… Les travailleurs de la première ligne vivent sous des contraintes qui s’accumulent et qui accentuent le décrochage avec les autres populations actives en emploi, selon une étude, dévoilée le 29 avril, par la Fondation Travailler Autrement.
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© Gettyimages

Que deviennent les travailleurs de la première ligne quatre ans après le début de la pandémie de Covid ? Dans le prolongement de son étude de 2022 (1), la Fondation Travailler Autrement, en partenariat avec le Diot-Siaci Institute et le cabinet conseil en relations sociales Temps Commun, a pris, à travers une enquête réalisée par le cabinet Occurrence, des nouvelles de ce qu’elle a baptisé les « Invisibles ». Soit ces 11 millions de travailleurs qui contribuent à la bonne marche du pays. Ces premiers de tranchée ou de corvée sont agents d’entretien, aides à domicile, caristes, aides-soignantes, vigiles, livreurs, éboueurs, caissières ou encore ouvriers agricoles. « Alors que la crise sanitaire avait révélé à tous ceux qui ne les voyaient pas l’existence de ces travailleurs essentiels, ils ressentent aujourd’hui un lourd manque de reconnaissance », indique la Fondation.

Cette nouvelle étude (« Les Invisibles - Édition 2024. Des vies sous contraintes ») s’attarde notamment sur les conditions de travail de ces personnes, leur vie personnelle et familiale, leur environnement économique et social. « Autant de difficultés du quotidien qui conduisent à une forme de décrochage du reste de la population active française », observe le rapport, qui classe les « Invisibles » en trois sous-catégories : les « personnes du soin, du lien et de l’éducation », les « nouvelles populations ouvrières » et les « personnes isolées et fragilisées ».

Accumulation de contraintes

Le point commun entre ces personnels est une accumulation de contraintes qui relèvent de la précarité, de la pénibilité (une vie professionnelle douloureuse et une vie personnelle inexistante), de la parentalité (une vie de parents, le plus souvent seuls et isolés socialement), de la temporalité (une vie sans être maître de son temps), de la territorialité (une vie à la mobilité freinée et coûteuse) et de l’utilité (une activité utile mais pas reconnue).

S’agissant des conditions de vie précaire, l’étude révèle que bien travaillant en moyenne 10 % de moins que les autres actifs, ils gagnent 32 % de moins chaque mois. 13 % d’entre eux ne parviennent pas à subvenir à leurs besoins primaires. En outre, conséquence de travaux pénibles, seulement 1 travailleur « invisible » sur 4 se sent en capacité d’exercer son activité jusqu’à la retraite. Ils sont par ailleurs plus nombreux à travailler avec des horaires atypiques et disposent de moins d’autonomie dans l’organisation de leur travail et la gestion de leur temps. « Pour les Invisibles, à la contrainte du coût de la vie quotidienne et à celle de la pénibilité du travail qui ont toujours existé, est venue s’ajouter ces 30 dernières années une fracture territoriale majeure où les distances et donc le temps de transport entre lieu de travail et lieu de vie sont devenues insupportables », remarque Patrick Levy-Waitz, président de la Fondation Travailler Autrement.

De plus, 42 % de ces travailleurs éprouvent des difficultés à conjuguer leur vie professionnelle et le rythme scolaire de leurs enfants. Ils sont plus nombreux que les autres actifs à s’absenter du travail pour garder leurs enfants, faute de moyens ou de proches disponibles pour s’en occuper. Enfin, ajoute l’étude, si les « Invisibles » se sentent en moyenne plus utiles à la société par leur travail que les autres actifs, ils sont plus nombreux à ne pas se sentir reconnus.

Familles monoparentales

La Fondation et ses partenaires alertent par ailleurs sur la situation des familles monoparentales, un modèle qui concerne 25 % des familles françaises, dont 82 % sont à la charge des mères. L’étude pointe la grande concentration de ces familles parmi la population d’« Invisibles ». « Sur 10 femmes qui travaillent et qui sont en situation de monoparentalité, plus de 7 font partie des Invisibles ! La monoparentalité, souvent subie, agit comme un facteur qui impacte, amplifie et aggrave tous les autres, et complexifie le quotidien », affirment les auteurs de l’enquête. « Ces salariés qu’on qualifie d’Invisibles ont un rôle majeur, nous l’avons tous compris avec la crise sanitaire, dans le fonctionnement de notre économie et de notre société. Pour leurs employeurs, se pose donc la question de l’attractivité des métiers qu’ils occupent, de leurs conditions de travail et de leur engagement professionnel, de la maîtrise de toutes ces difficultés du quotidien qui viennent percuter leur vie professionnelle », commente, dans un communiqué de la Fondation, Myriam El Khomri, directrice du Conseil et de la stratégie RSE du groupe Diot Siaci.

J-F. Rio

(1) “Les Invisibles : Plongée dans la France du Back Office”, Fondation Travailler Autrement, mars 2022