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« La recherche parle aux RH » par Référence RH et AGRH : GRH et engagement volontaire des salariés pour le climat

« La recherche parle aux RH » par Référence RH et AGRH : GRH et engagement volontaire des salariés pour le climat

Publiée le 04/11/2024

  • La rédaction de liaisons-sociales.fr
  • Les enseignants-chercheurs en ressources humaines, membres des associations Référence RH et AGRH, évoquent pour Liaisons Sociales une problématique RH. Dans cette chronique, Stéphan Pezé et Christelle Théron, enseignants-chercheurs en sciences de gestion à TSM-Research, unité de recherche du CNRS et de l’Université Toulouse Capitole, nous parlent de l’engagement volontaire des salariés pour le climat et les enjeux RH qui en découlent.
Portée

Stéphan Pezé, Christelle Théron, enseignants-chercheurs en sciences de gestion, TSM-Research, Université Toulouse Capitole, CNRS.

Si l’engagement volontaire de salariés pour des causes sociales au sein de leur organisation est ancien, leur activisme pour des sujets essentiellement environnementaux est plus récent. Ils sont de plus en plus nombreux à s’interroger sur le rôle de leur entreprise dans la lutte contre le dérèglement climatique et l’effondrement du vivant. Inquiets pour leur avenir et celui de leurs enfants, ils agissent en entreprise par des écogestes [1] et décident parfois d’aller plus loin en s’engageant volontairement pour transformer leur entreprise de l’intérieur [2].

Cet engagement volontaire est atypique. Ces salariés s’auto-missionnent pour changer les pratiques de leur entreprise sans avoir de mandat officiel pour cela ni de ressources dédiées (ni temps, ni budget) et souvent sans avoir une expertise sur ces sujets. Dans les grandes entreprises, cet engagement se fait souvent à plusieurs, en collectifs [3].

Nos recherches [4] montrent que ces collectifs organisent des événements de sensibilisation, comme des Fresques du climat ou des défis de mobilité douce. Avec différents services (services généraux, RH, DSI, etc.), ils cherchent à transformer les processus internes : introduction de plats végétariens bio et locaux, remplacement de gobelets à usage unique, gestion durable des équipements informatiques, etc. La direction RSE s’avère souvent un allié dans cette entreprise. Il leur est en revanche plus difficile d’influer sur les choix stratégiques ; la reconnaissance du collectif par la direction est déjà un défi en soi. Néanmoins, adoptant une position de partenaires plutôt que d’opposants, les collectifs sont force de propositions compatibles avec les enjeux business qui peuvent leur ouvrir la porte du Comex.

En quoi est-ce un sujet RH ?

Les salariés engagés peuvent se rapprocher des RH pour la mise en place de certaines actions, par exemple l’élargissement de la liste des bénéficiaires d’un arrondi sur salaire (ou don sur salaire) pour intégrer des associations environnementales ou encore la possibilité de placer l’épargne salariale sur des fonds réellement responsables [5]. Ils peuvent également faire inscrire divers outils de sensibilisation au plan de développement des compétences (Fresque du climat, Atelier 2 Tonnes, etc.) ainsi que demander que leur collectif soit présenté lors du parcours d’intégration des nouveaux arrivants. Ce faisant, ils contribuent à verdir la gestion des ressources humaines.

Toutefois, l’essentiel des enjeux RH est ailleurs. Les salariés engagés volontairement pour le climat sont généralement attachés aux enjeux socio-écologiques ET à leur entreprise. Ils apprécient leur emploi mais éprouvent un décalage entre leurs valeurs personnelles et leur souhait d’avoir un impact positif dans leur quotidien professionnel. Il s’agit en outre majoritairement de jeunes cadres formés dans les meilleures écoles d’ingénieur et de management. Un premier enjeu RH est ainsi de réussir à retenir ces talents.

Un deuxième enjeu RH est de soutenir et canaliser ce désir d’agir notamment en reconnaissant et valorisant les compétences qu’ils développent au cours de leur engagement volontaire. Enfin, parce qu’ils s’impliquent sans compter pour une cause qui les transcendent, ces salariés peuvent s’épuiser et mettre en tension l’équilibre entre leur vie professionnelle et personnelle.

Un troisième enjeu RH plus inattendu implique donc la gestion de leur santé au travail.

Focus sur trois enjeux RH

1- Fidélisation et attractivité

Ces employés sont des talents engagés pour le climat et pour la réussite de l’entreprise sur le long terme. S’ils ne peuvent pas avoir d’impact en interne, la tension entre leurs valeurs et leur emploi perdure et ils peuvent être tentés de partir. Il serait dommage de ne plus pouvoir bénéficier de leur énergie constructive.

De plus, l’existence d’un mouvement de salariés engagés et donc de la possibilité d’agir pour l’écologie dans l’entreprise peut être un élément présenté dans le processus de recrutement. En effet, 78 % des salariés choisiraient, à offres équivalentes, de rejoindre une entreprise engagée pour la transition écologique, particulièrement les plus jeunes [6].

Enfin, les initiatives volontaires des salariés peuvent venir compléter l’information proposée sur la RSE de l’entreprise dans les pages emploi et carrières. En témoigne le fait que certaines figures de proue de l’association « Les Collectifs » ont pu être mises en avant sur le site recrutement de leur entreprise. C’est donc aussi un enjeu de marque employeur.

2- Reconnaissance et gestion de carrière

Ces salariés, tout du moins au début de leur engagement, n’ont ni mandat ni ressources pour agir sur les enjeux socio-écologiques. Leurs collègues et managers peuvent percevoir leur volonté d’agir comme une lubie : qui sont-ils pour réclamer à l’entreprise de se transformer ? Ne doivent-ils pas avant tout réaliser le travail pour lequel ils sont payés ? La méfiance voire la moquerie peut décourager l’engagement et donner l’impression d’une prise de risque pour leur progression de carrière ou leur emploi.

Nous préconisons au contraire de reconnaître et d’encourager cet engagement. Un message clair de l’entreprise contribue à le légitimer, notamment vis-à-vis de la ligne managériale. Il est également possible d’enrichir les critères du référentiel d’évaluation annuel d’un critère portant sur la contribution à la vie de l’entreprise sous différentes formes, dont l’engagement pour le climat (comme l’a fait par exemple le cabinet de conseil BCG).

Enfin, l’engagement volontaire pour le climat doit être considéré comme une expérience développementale [7]. En effet, en s’engageant, les salariés acquièrent de nombreuses connaissances et compétences sur les sujets socio-écologiques et développent leur leadership pour faire avancer des projets complexes à forts enjeux. Ils expérimentent également de nouvelles formes de travail collectif, plus horizontal et collaboratif que hiérarchique. Une manière de reconnaître ces compétences est de permettre à ces salariés d’accéder à des évolutions professionnelles dans des emplois plus verts (par exemple au sein de la direction RSE).

3- Santé, qualité de vie et des conditions de travail

L’expression des salariés est une des dimensions de la QVCT et l’engagement volontaire des salariés pour le climat nous semble y participer. Toutefois, cet engagement est réalisé sur des temps n’impactant pas l’activité de ces salariés : durant le déjeuner, en fin de journée, parfois le week-end, etc. Plusieurs salariés ont aussi mentionné des difficultés à gérer cette surcharge de travail dans la durée et certains ont fait un burnout. Nous alertons donc sur l’exposition de cette population spécifique de salariés au risque d’épuisement professionnel.

Bien que l’engagement salarié ne soit pas un risque professionnel à proprement parler, il nous semble nécessaire d’ouvrir des discussions sur les possibilités d’aménagement de l’emploi de ces salariés afin de limiter une surcharge de travail. Il nous semble nécessaire d’inclure la gestion de la santé au travail de ces salariés en sus de nouvelles politiques RH visant à faire face aux conséquences du dérèglement climatique [8].

Enfin et à l’inverse, ces groupes de salariés capables d’écoute et de bienveillance pour partager sur ces sujets difficiles, parfois sources d’éco-anxiété, peuvent être considéré comme une forme de soutien social que les membres s’accordent, une précieuse ressource psychosociale.

Conclusion

Au-delà de ces trois enjeux, l’engagement volontaire des salariés pour le climat interroge d’autres sujets RH, comme l’articulation entre les actions de ces salariés et les prérogatives récentes des représentants du personnel en matière d’environnement [9]. Si l’énergie de ces employés désireux de participer à la transformation écologique de l’entreprise peut contribuer à verdir la fonction RH, la fonction RH peut également contribuer à ce qu’ils aient plus d’impact et qu’ils se sentent davantage alignés avec leurs valeurs personnelles, à condition toutefois de prendre leur engagement au sérieu

x.

Stéphan Pezé, Christelle Théron, enseignants-chercheurs en sciences de gestion, TSM-Research, Université Toulouse Capitole, CNRS.

Consulter les sites des associationsRéférence RH et AGRH

[1] G. Brisepierre (2019), Qui sont les « transféreurs », ces praticiens de l’écologie au travail ? The Conversation

[2] Liaisons Sociales Quotidien (2024), Transition écologique : la mobilisation est un enjeu essentiel, no 18962

[3] Collectif (2021), Climat, crise sociétale, transformations… Tribune de 27 collectifs de salariés, Les Echos

[4] S. Pezé et C. Théron (2024), Marcher sur des lignes de crête : Collectifs de salariés pour le climat et transformation de leur entreprise, Revue française de gestion, vol. 2024/2, no 135, 101-123

[5] Collectif (2023), « Nous voulons une épargne salariale au service du climat », Le Monde (https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/27/nous-voulons-une-epargne-salariale-au-service-du-climat_6167081_3232.html)

[6] ADEME (2021), Etude du CSA pour LinkedIn et l’ADEME

[7] McCauley, C. (2008), Missions développantes : comment saisir des opportunités de développement sans changer d’emploi, Center for Creative Leadership

[8] CESE (2023), Travail et climat : quelle prise en charge de l’impact du climat sur la santé au travail ?

[9] Liaisons Sociales Quotidien (2023), Loi Climat : un véritable dialogue social environnemental est-il né dans les entreprises ? no 18909