En 2019, 70 % des salariés déclarent observer occasionnellement ou régulièrement des faits religieux au travail, selon une étude réalisée par Lionel Honoré, professeur des universités à l’Institut d’administration des entreprises de Brest et directeur de l’Observatoire du fait religieux en entreprise (Ofre), publiée le 7 novembre 2019. Les faits les plus courants concernent le temps de travail (absences, aménagements des horaires, planning des vacances, etc.) ou le port de signes religieux ostentatoires (v. l’actualité nº 17939 du 15 novembre 2019). Le fait religieux peut ainsi susciter nombre de questions pratiques chez les employeurs.
À NOTER Le ministère du Travail a élaboré un guide pratique du fait religieux en entreprise, consultable sur le site www.travail-emploi.gouv.fr. Conçu sous la forme de questions-réponses, assorties d’exemples concrets, ce guide aborde les différentes problématiques soulevées par l’expression des convictions religieuses des salariés dans l’entreprise (refus d’exécuter certaines tâches, port de signes religieux, pratique du jeûne, demandes de congés, etc.).
1 Lors de l’embauche
UNE OFFRE D’EMPLOI PEUT-ELLE CONTENIR DES CRITÈRES RELIGIEUX ?
La loi interdit de faire référence dans une offre d’emploi aux convictions religieuses ou à l’absence de convictions religieuses des candidats. De même, il est interdit de mentionner des critères ayant pour objet d’exclure des candidats pratiquant certaines religions, sauf à commettre une discrimination. C’est la conséquence du principe selon lequel aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement en raison de son appartenance ou de sa non-appartenance à une religion déterminée (C. trav., art. L. 1132-1 et L. 5321-2). Seules les exigences professionnelles liées à la nature du poste à pourvoir peuvent figurer dans l’offre d’emploi.
L’EMPLOYEUR PEUT-IL QUESTIONNER UN CANDIDAT SUR SA RELIGION ?
Non. Les informations demandées au candidat, sous quelque forme que ce soit, ont pour seule finalité d’apprécier sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles, et doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé ou avec l’évaluation des aptitudes professionnelles (C. trav., art. L. 1221-6).
Sauf dans les entreprises dites « de tendance »(v. l’encadré page 2), la religion n’a donc pas sa place dans les informations pouvant être demandées aux candidats lors de l’entretien d’embauche ou dans le cadre d’un questionnaire d’embauche.
Ainsi, l’employeur ne peut pas demander à un candidat si sa religion l’empêche d’exécuter certaines tâches ou d’être présent à certains moments de la semaine ou de l’année. De même ne peut-il poser de questions portant indirectement sur les pratiques religieuses du candidat. La Halde (institution aujourd’hui remplacée par le Défenseur des droits) a considéré que le recruteur d’une association organisant une classe de mer ayant pour objet l’initiation des enfants au milieu marin et agricole, ainsi qu’à leurs produits, et impliquant que les animateurs mangent avec les enfants, ne pouvait valablement interroger les candidats sur leur régime alimentaire, cette question défavorisant les personnes désireuses de suivre un régime alimentaire en raison de leurs convictions religieuses (Délib. Halde nº 2008-10, 14 janvier 2008).
2 Droits et limites des pratiques religieuses
LE SALARIÉ PEUT-IL EXPRIMER SES CONVICTIONS RELIGIEUSES ?
Pas d’interdiction générale et absolue
Il convient tout d’abord de rappeler que les principes de neutralité et de laïcité du service public ne s’appliquent pas dans les entreprises privées, sauf si celles-ci sont en charge d’un service public (comme les caisses primaires d’assurance maladie). Précisons qu’une entreprise privée exerçant une mission d’intérêt général ne peut pas être considérée comme une entreprise privée gérant un service public (Cass. soc., 19 mars 2013, nº 12-11.690 et nº 11-28.845).
Au sein des entreprises privées ne gérant pas de service public, le salarié peut donc librement exprimer ses convictions religieuses. Il jouit en effet de la liberté d’expression, garantie par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Cette liberté est également protégée par l’article L. 1121-1 du Code du travail.
À cet égard, l’employeur ne peut pas prévoir dans le règlement intérieur une interdiction générale et absolue des discussions religieuses. Cette disposition excède, eu égard à l’atteinte qu’elle porte aux droits de la personne, l’étendue des sujétions que l’employeur peut édicter (CE, 25 janvier 1989, nº 64.296).
Interdiction de l’abus et du prosélytisme
La liberté d’expression religieuse du salarié trouve sa limite dans l’abus et le prosélytisme.
S’agissant de l’abus de la liberté d’expression, celui-ci ne peut être caractérisé du seul fait de la nature religieuse d’un message envoyé par le salarié. Il convient en effet de vérifier si, au regard de la tâche du salarié et de l’activité de l’entreprise, les propos constituent un abus dans l’usage de la liberté d’expression (Cass. soc., 1er juillet 2015, nº 14-13.871).
Quant au prosélytisme, le ministère du Travail le définit dans son guide pratique comme « le zèle ardent pour recruter des adeptes, pour tenter d’imposer ses convictions, notamment, religieuses à d’autres salariés ». Ont par exemple été reconnus comme constituant des faits de prosélytisme :
- un salarié qui profite de ses fonctions de formateur pour encourager d’autres personnes à rejoindre l’église de scientologie (CA Paris, 28 septembre 1993) ;
- un animateur d’un centre de loisirs laïc lisant la Bible et distribuant des prospectus en faveur des Témoins de Jéhovah aux enfants (Cons. prud’h. Toulouse, 9 juin 1997, nº 09/97) ;
- un salarié manutentionnaire-livreur qui ponctue son activité professionnelle d’invocations et de chants religieux (CA Basse-Terre, 6 novembre 2006, nº 06/00095) ;
- un salarié qui multiplie les digressions ostentatoires orales sur la religion (CA Rouen, 25 mars 1997, nº 95/04028) ;
- une aide à domicile adepte des Témoins de Jéhovah qui fait de la propagande auprès de personnes âgées ou fragilisées (CA Nancy, 30 juin 2006, nº 04/1847).
LE SALARIÉ PEUT-IL PORTER UN VÊTEMENT OU UN SIGNE RELIGIEUX ?
Restrictions admises pour des raisons de santé et de sécurité
Restrictions à la liberté de se vêtir
Le port d’un vêtement ou d’un insigne manifestant l’appartenance à une religion ne relève pas, en tant que tel, d’un comportement prosélyte que l’employeur peut interdire (CE, 27 novembre 1996, nº 172.787).
Cependant, la l iberté de se vêtir à sa guise pendant le temps de travail et sur le lieu de travail n’entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales(Cass. soc., 28 mai 2003, nº 02-40.273). Cette liberté restant malgré tout une liberté individuelle reconnue au salarié, toute obligation de porter certaines tenues et/ou interdiction de certaines tenues ou accessoires incompatibles doit être dictée par des nécessités d’ordre professionnel, justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché (C. trav., art. L. 1121-1).
Un règlement intérieur peut ainsi imposer le port d’une tenue de chantier comportant des vêtements de travail, un casque et des gants de manutention, pour des raisons de sécurité(CE, 16 décembre 1994, nº 112.855). Une telle clause, qui limite la liberté vestimentaire du salarié, est licite.
Restrictions à la liberté religieuse
Les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et être proportionnées au but recherché (C. trav. art. L. 1121-1, L. 1132-1 et L. 1133-1 ; D. 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, art. 2 § 2 et 4, § 1). Pour la Cour de cassation, lorsque ces restrictions ne figurent pas dans le règlement intérieur(v. ci-après), la discrimination directe fondée sur les convictions religieuses et politiques en découlant peut ainsi être justifiée par une « exigence professionnelle essentielle et déterminante », au sens de l’article 4 § 1 de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000(Cass. soc., 8 juillet 2020, nº 18-23.743 FS-PBRI ; v. l’actualité nº 18099 du 10 juillet 2020). Cette notion renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause, précise-t-elle. Et à ce titre, l’objectif légitime de sécurité du personnel et des clients peut justifier des restrictions à la liberté religieuse et permettre d’imposer une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif. L’employeur, tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés (C. trav., art. L. 4121-1), peut en effet être contraint par des impératifs de santé, de sécurité ou d’hygiène sanitaire d’imposer le port de tenues spécifiques incompatibles avec le port de signes religieux.
À NOTER Attention à la façon de formuler l’interdiction : ce n’est pas en raison de son caractère religieux qu’une tenue est prohibée, mais en raison de ses conséquences en termes de santé, d’hygiène et de sécurité. De manière générale, pour éviter tout risque de discrimination, il est plus prudent d’interdire par exemple le port de tout couvre-chef, plutôt que de viser le voile islamique ou la kippa.
Le contact avec la clientèle justifie-t-il des interdictions ?
La Cour de cassation a répondu à cette question dans un arrêt du 22 novembre 2017, à propos d’une salariée licenciée pour avoir refusé de retirer son voile islamique lorsqu’elle était en mission chez des clients(Cass. soc., 22 novembre 2017, nº 13-19.855 FP-BRI ; v. l’actualité nº 17454 du 24 novembre 2017). Selon l’arrêt, l’employeur ne peut imposer une telle restriction au port de signes religieux que dans le règlement intérieur de l’entreprise (ou une note de service qui en suit le même régime), à condition que cette clause de neutralité soit générale, qu’elle vise, de manière indifférenciée, les signes tant religieux que politiques et philosophiques, et qu’elle ne s’applique qu’aux salariés en contact avec la clientèle(v. ci-après). Par ailleurs, l’employeur devra, avant d’envisager un éventuel licenciement, tenter de reclasser le salarié sur un autre poste.
À NOTER Par cette décision, la Cour de cassation tire les conséquences de deux décisions rendues le 14 mars 2017 par la CJUE à l’occasion de deux questions préjudicielles, l’une française posée dans la présente affaire, l’autre belge (CJUE, 14 mars 2017, aff. C-157/15 et C-188/15 ; v. l’actualité nº 17287 du 16 mars 2017). Elle conforte les dispositions de la loi Travail du 8 août 2016 permettant l’introduction de clauses de neutralité dans le règlement intérieur. Pour plus de précisions : v. aussi l’interview de Jean-Guy Huglo, doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation (v. l’actualité nº 17454 du 24 novembre 2017).
LE SALARIÉ PEUT-IL REFUSER UN TRAVAIL OU UNE OBLIGATION CONTRAIRE À SES CONVICTIONS ?
Si l’employeur doit respecter les convictions religieuses du salarié, il est en revanche en droit d’exiger de lui l’exécution de son contrat de travail indépendamment de ses convictions religieuses.
Un salarié ne peut invoquer des prescriptions religieuses pour refuser d’exécuter ses obligations contractuelles ou pour se soustraire à ses obligations légales et réglementaires (Délib. Halde, nº 2011-67 du 28 mars 2011). Ont été ainsi jugés justifiés les licenciements de salariés prononcés pour les faits suivants :
- le refus par un salarié de passer la visite médicale périodique en arguant qu’un changement dans son organisation la rendait incompatible avec ses convictions religieuses (Cass. soc., 29 mai 1986, nº 83-45.409) ;
- le refus d’un salarié de confession musulmane, employé comme boucher, de toucher la viande de porc (Cass. soc., 24 mars 1998, nº 95-44.738) ;
- le refus d’une animatrice, recrutée par une association chargée de l’intégration d’enfants autistes, de se baigner avec les enfants lors d’une sortie dans un parc aquatique, ce refus étant contraire à l’exigence de sécurité des enfants (Délib. Halde nº 2006-242 du 6 novembre 2006).
Le refus d’un salarié, invoquant un motif religieux, d’obéir à sa supérieure hiérarchique parce qu’elle est une femme constitue également, selon nous, un manquement aux obligations contractuelles. Il s’agit également d’un agissement sexiste prohibé par le Code du travail (C. trav., art. L. 1142-2-1).
En revanche, le salarié peut refuser d’exécuter une mission qui peut le mettre en danger. Est, par exemple, injustifié le licenciement d’un salarié ayant refusé de prendre en charge un projet se déroulant au Moyen-Orient compte tenu des risques encourus pour sa sécurité du fait de sa confession religieuse, le risque étant réel et le salarié l’ayant signalé à son employeur (Cass. soc., 12 juillet 2010, nº 08-45.509).
À NOTER L’exercice de certaines professions (notaires, commissaires aux comptes, professions judiciaires, contrôleurs RATP ou SNCF, etc.) exige au préalable de leur titulaire de prêter serment, en général devant un tribunal ou une cour d’appel et, la plupart du temps, selon la formule consacrée « je jure… ». Le salarié, dont la religion interdit de jurer, peut refuser d’utiliser cette formule et proposer de prêter serment selon une autre forme en usage dans sa religion, dès lors qu’aucun texte légal ne lui impose une formule de serment particulière. Tout licenciement prononcé en raison de ce refus est discriminatoire car fondé sur les convictions religieuses et ce, même si le juge n’a pas accepté la formule alternative proposée (v. Cass. soc., 1 er février 2017, nº 16-10.459 FS-PB, à propos d’un contrôleur RATP ; v. l’actualité nº 17261 du 8 février 2017).
LE SALARIÉ PEUT-IL BÉNÉFICIER D’UN CONGÉ UN JOUR DE FÊTE RELIGIEUSE ?
Sauf convention collective ou accord d’entreprise prévoyant un droit à absence en cas de cérémonies ou de fête religieuse, le salarié qui souhaite prendre un jour de congé pour un tel motif doit obtenir l’autorisation de l’employeur. Et, comme pour toute demande de congé, celui-ci est en droit de refuser.
Toutefois, ce refus ne doit pas être discriminatoire, c’est-à-dire fondé sur le motif religieux de la demande (si celui-ci est exprimé, le salarié n’étant pas tenu de le faire connaître). Il doit trouver sa raison dans la nécessité d’assurer le bon fonctionnement de l’entreprise. L’employeur doit « justifier, par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le refus d’accorder une autorisation d’absence pour fête religieuse » (Délib. Halde nº 2007-301, 13 novembre 2007).
Par exemple, la réception d’une livraison importante le jour correspondant à la fête de l’Aïd peut justifier le refus de l’employeur d’autoriser l’absence d’une salariée musulmane à cette date (Cass. soc., 16 décembre 1981, nº 79-41.300). L’absence non autorisée du salarié constitue une faute et peut être sanctionnée. L’employeur doit veiller à la proportionnalité de la sanction, en tenant compte du contexte (conséquences sur les autres salariés ou pour les clients, caractère exceptionnel ou répété de l’agissement, etc. ; C. trav., art L. 1333-1 et s.). Dans l’affaire précitée, les juges ont estimé que, eu égard aux circonstances, l’absence non autorisée d’un seul jour ne constituait pas une faute grave.
LE SALARIÉ PEUT-IL BÉNÉFICIER D’AMÉNAGEMENTS DE POSTE OU D’HORAIRES ?
Certaines pratiques religieuses, comme la prière ou le jeûne, peuvent amener le salarié à demander des aménagements de poste ou d’horaires ou la mise à disposition d’un endroit dédié. L’employeur doit répondre à ces demandes en se fondant sur l’exécution du contrat de travail et le bon fonctionnement de l’entreprise, ainsi que sur le respect du Code du travail.
Pratique des prières
L’employeur ne peut interdire à un salarié de prier dans son bureau durant son temps de pause si cela ne gêne pas l’organisation du travail. En revanche, il peut interdire les prières lorsqu’elles ont lieu pendant le temps de travail ou perturbent l’exécution du travail des autres salariés.
Par ailleurs, l’employeur n’est pas tenu de mettre à disposition des salariés une salle pour prier. Toutefois, rien ne le lui interdit. À cet égard, si l’employeur met une salle de prière à la disposition des salariés d’une certaine confession, il ne peut refuser une demande de même nature présentée par des salariés d’une autre confession sans courir le risque de discrimination. S’il n’est possible de mettre à la disposition des salariés qu’une seule salle, l’employeur peut instaurer des horaires d’accès pour chaque confession.
Pratique du jeûne
L’employeur ne pourrait interdire la pratique du jeûne religieux que si cette restriction à la liberté religieuse est justifiée.
Or, le fait de jeûner ne constitue pas en soi un élément caractérisant une impossibilité d’accomplir les tâches relevant du contrat de travail. Cette impossibilité doit être déterminée de façon objective, en prenant notamment en compte la nature du poste occupé ou les horaires de travail. Ainsi, la situation d’un grutier et celle d’un agent administratif ne s’apprécient pas de la même façon, de même que la situation d’un salarié travaillant tôt le matin et celle d’un salarié travaillant tard le soir.
Du fait de son obligation de sécurité(C. trav., art. L. 4121-1), l’employeur doit tenir compte des conséquences du jeûne sur la sécurité du salarié, de ses collègues ainsi que des tiers. Si le salarié n’est pas en mesure d’exécuter son travail dans les conditions de sécurité requises, le jeûne peut nécessiter des aménagements dans l’organisation du travail. Dans l’objectif de prévenir toute atteinte à la sécurité, l’employeur peut :
- procéder à un changement d’affectation sans que cela constitue une sanction disciplinaire (Cass. ass. plén., 6 janvier 2012, nº 10-14.688) ;
- alléger le temps de travail pendant le mois du jeûne, avec rattrapage. C’est ce que suggère la Halde à propos du ramadan (Halde, Délib. nº 2008-10, 14 janv. 2008) ;
- aménager les horaires de travail, notamment en autorisant le salarié à arriver plus tôt ou en réduisant sa pause déjeuner pour lui permettre de partir plus tôt en fin de journée. Attention à bien prendre en compte l’obligation de prévoir une pause d’au moins 20 minutes consécutives à partir de six heures de travail quotidien (C. trav., art. L. 3121-16) ;
- retirer le salarié de son poste de travail. Pendant la période non travaillée, l’employeur peut maintenir la rémunération, mais il n’y est pas tenu (Cass. ass. plén., 6 janvier 2012, précité).
Attention, l’employeur ne peut recourir à l’une de ces différentes possibilités que s’il est bien établi que le salarié n’est pas en capacité d’exécuter son travail dans les conditions de sécurité requises et doit étudier les questions relatives à l’état de santé du salarié avec le médecin du travail et, le cas échéant, avec le comité social et économique (CSE).
À NOTER La pratique du jeûne pouvant entraîner des risques pour la santé, l’employeur peut solliciter un examen du salarié par le médecin du travail (C. trav., art. R. 4624-34).
Adaptation des horaires
L’employeur peut, en vertu de son pouvoir de direction, adapter les horaires de travail en fonction des pratiques religieuses. Il s’agit d’une possibilité et non d’une obligation. Cette faculté ne peut cependant conduire l’employeur à déroger à la règle du repos dominical (C. trav., art. L. 3132-3), en dehors des cas admis par le Code du travail (C. trav., art. L. 3132-4 et s.). Il n’est, par exemple, pas possible de faire travailler les salariés le dimanche et fixer le repos hebdomadaire le samedi.
À NOTER Saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), par une enseigne faisant valoir que l’interdiction faite aux commerces de détail alimentaire d’employer des salariés après 13 heures le dimanche (C. trav., art. L. 3132-13) pèserait plus fortement sur les commerces casher, dès lors que dans le cadre du Shabbat, ces derniers ferment déjà leurs portes « le vendredi soir au coucher du soleil et toute la journée du samedi », la chambre sociale n’a pas donné suite à cette problématique de la compatibilité entre la règle du repos dominical et la liberté religieuse (Cass. soc., 12 février 2020, nº 19-40.035 FS-PB ; v. le dossier jurisprudence hebdo nº 42/2020 du 3 mars 2020). Elle a en effet refusé de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel au motif que la disposition contestée - l’article L. 3132-13 - a déjà été déclarée conforme à la Constitution lors de l’examen de la loi nº 2009-974 du 10 août 2009 relative au repos dominical et qu’aucun changement des circonstances de droit ou de fait affectant la portée de cette disposition n’est intervenu depuis cette décision (Cons. const., 6 août 2009, déc. nº 2009-588 DC, JO 11 août).
3 Ce que peut prévoir le règlement intérieur
PEUT-IL RESTREINDRE LES MANIFESTATIONS DES CONVICTIONS RELIGIEUSES ?
Le règlement intérieur ne peut apporter de restrictions à la liberté de manifester ses convictions religieuses que si celles-ci sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (C. trav., art. L. 1321-3,2º).
L’employeur ne peut donc pas formuler d’interdiction générale et absolue concernant telle ou telle pratique religieuse. Les restrictions instituées dans le règlement intérieur doivent être liées aux conditions particulières d’exercice des fonctions et être proportionnées au but recherché (CE, 16 décembre 1994, nº 112.855, à propos du port sur un chantier d’un casque et de gants).
QUID DES CLAUSES DE NEUTRALITÉ ?
La loi Travail du 8 août 2016 a introduit la possibilité pour les entreprises de prévoir, dans leur règlement intérieur, des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés. Cette clause de neutralité n’est toutefois licite que sous les conditions suivantes (C. trav., art. L. 1321-2-1) :
- les restrictions doivent être justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ;
- elles doivent être proportionnées au but recherché.
Par ailleurs, comme auparavant, le règlement ne peut contenir de dispositions discriminant les salariés, dans leur emploi ou leur travail, en raison de leurs convictions religieuses (C. trav., art. L. 1321-3,3º).
Dans un arrêt du 14 mars 2017 (aff. C-157/15), rendu dans le cadre d’une question préjudicielle concernant l’interdiction du port du voile islamique aux salariées en contact avec la clientèle, la CJUE a admis la compatibilité des clauses ou politiques générales de neutralité en entreprise avec la directive 2000/78/CE prohibant les discriminations fondées sur les convictions religieuses, à plusieurs conditions :
- la clause doit reposer sur un motif légitime, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec les clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse ;
- elle doit être générale : elle doit viser tous les signes visibles religieux, politiques ou philosophiques ;
- elle doit être restreinte quant aux salariés concernés : il doit s’agir uniquement de ceux en contact avec la clientèle ;
- en cas de refus du salarié, l’employeur doit chercher à le reclasser dans un poste sans contact visuel avec les clients, avant d’envisager un licenciement.
Dans l’arrêt déjà cité du 22 novembre 2017 (nº 13-19.855 FP-PBRI), qui concernait une affaire antérieure à la loi Travail, la Cour de cassation a repris les principes ainsi posés par la CJUE, tout en précisant que la clause qui permet d’imposer la neutralité dans l’entreprise doit impérativement figurer dans le règlement intérieur ou une note de service qui en suit le régime, faute de quoi une discrimination directe fondée sur les convictions religieuses est caractérisée. Une discrimination directe que seule une exigence professionnelle essentielle et déterminante résultant de la nature de l’activité professionnelle et des conditions de son exercice est à même de justifier (v. ci-avant).
À NOTER Comme l’indique la note explicative jointe à l’arrêt sur le site de la Cour de cassation, le recours au règlement intérieur « ne s’oppose pas à la négociation au sein de l’entreprise de chartes d’éthique portant sur les modalités du « vivre-ensemble » dans la communauté de travail ». Mais ces dernières n’ont pas la même portée juridique puisqu’elles sont, pour leur part. « dénuées de caractère obligatoire et ne sauraient fonder un licenciement pour motif disciplinaire dans le cas du non-respect par un salarié des préconisations qu’elles comportent ».
QUELLE PROCÉDURE FAUT-IL RESPECTER POUR INTRODUIRE UNE CLAUSE DE NEUTRALITÉ ?
L’employeur doit recueillir l’avis préalable du CSE. Le règlement intérieur doit ensuite être communiqué à l’inspecteur du travail, avec cet avis (C. trav., art. L. 1321-4). L’employeur doit également accomplir des formalités de dépôt et de publicité. Il doit déposer le règlement intérieur au greffe du conseil de prud’hommes et le porter, par tout moyen, à la connaissance des salariés (C. trav., art. R. 1321-1 et R. 1321-2).
Au-delà de ces obligations légales, il convient d’adopter une démarche concertée, tant avec le CSE qu’avec les salariés, dans la mise en place du principe de neutralité dans l’entreprise (consultation, groupe de travail, réunion d’échange par exemple).
LES ENTREPRISES DITES DE TENDANCE Les entreprises de tendance sont « les entreprises qui ont une orientation idéologique marquée, laquelle, connue de tous, peut imposer certaines obligations particulières aux salariés soumis par ailleurs aux règles du droit du travail : Églises, écoles religieuses, syndicats, partis politiques » (P. Waquet, L. Pécaut-Rivolier « Pouvoirs du chef d’entreprise et libertés du salarié » Éditions Liaisons - 2014).
Dans ces entreprises, il est admis que des restrictions plus importantes puissent être apportées aux libertés des salariés. En acceptant de travailler dans une entreprise dont l’activité a une finalité religieuse (école catholique, association cultuelle, etc.), le salarié accepte de restreindre la liberté dont il jouit dans sa vie professionnelle, mais également dans sa vie personnelle. Par exemple, le licenciement d’une enseignante d’un établissement catholique fondé sur le fait que, après avoir divorcé, elle s’était remariée, a été admis. Les convictions religieuses de la salariée ont été, en effet, un élément déterminant de la conclusion de son contrat de travail (Cass. ass. plén., 19 mai 1978, nº 76-41.211). Sur le plan professionnel, il est considéré que « l’article L. 1132-1 du Code du travail, en ce qu’il dispose qu’aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de ses convictions religieuses, n’est pas applicable lorsque le salarié, qui a été engagé pour accomplir une tâche impliquant qu’il soit en communauté de pensée et de foi avec son employeur, méconnaît les obligations résultant de cet engagement » (Cass. soc., 20 novembre 1986, nº 84-43.243).]
PORTER LA BARBE PEUT ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME UN SIGNE RELIGIEUX Dans l’arrêt du 8 juillet 2020, était en cause l’interdiction faite à un salarié, consultant en sécurité, affecté à des missions dans des pays de culture arabo-musulmane, de porter la barbe en tant qu’elle manifesterait des convictions religieuses et politiques (Cass. soc., 8 juillet 2020, nº 18-23.743). Adoptant le raisonnement du salarié, la Cour de cassation a admis que le port de la barbe peut manifester de telles convictions, et que l’interdiction de l’arborer est susceptible d’être considérée comme une discrimination Mais gare à ne pas généraliser. Dans les services publics, le Conseil d’État considère en effet que le simple fait d’arborer une barbe, même imposante, ne constitue pas en lui-même la manifestation de convictions religieuses, quand bien même l’intéressé aurait refusé de la tailler et n’aurait pas nié qu’elle pouvait être perçue comme un signe d’appartenance religieuse. Il ne pourrait en aller autrement qu’en présence d’autres indices ou manifestations, liés à l’apparence ou au comportement, auquel cas le principe de neutralité pourrait alors être opposé à l’agent (CE, 12 février 2020, nº 418299; v. le dossier jurisprudence hebdo nº 37/2020 du 25 février 2020).
NEUTRALITÉ RELIGIEUSE DANS LE RÈGLEMENT INTÉRIEUR : TROIS QUESTIONS À… Sylvain Niel, président du Cercle des DRH, directeur associé Fidal
Quel est l’intérêt d’inscrire le principe de neutralité dans le règlement intérieur ?
Le règlement intérieur peut contenir des dispositions restreignant la manifestation des convictions religieuses des salariés. Toutefois, ces restrictions doivent être justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et elles doivent être proportionnées au but recherché. Une interdiction générale est à proscrire.
Pour justifier ces restrictions, un état des lieux est recommandé. Cette étude préalable permet d’identifier les pratiques religieuses existantes et leurs incidences sur les libertés et les droits des personnes, qu’elles soient salariées de l’entreprise ou non. Si aucune liberté ni aucun droit n’est compromis et que l’on constate malgré tout des difficultés au sein de l’entreprise, il faut cerner quelle est la nature de la perturbation occasionnée à son fonctionnement normal. De la gravité des conséquences découlent l’importance et la nature de la restriction susceptible d’être retenue, qui peut aller de la mise en place d’une autorisation préalable jusqu’à l’interdiction absolue sanctionnée par un licenciement.
C’est une analyse qui permet d’envisager la restriction à apporter à la liberté de manifester sa religion par le règlement intérieur, en étant tout à la fois circonstanciée et proportionnée au trouble occasionné. Cette étude doit aussi s’accompagner d’une analyse en faveur de l’égalité et de la diversité, par la mise en avant de bonnes pratiques. Ces dernières évaluent les pratiques constituant un traitement inégal et veillent à les éradiquer. Les augmentations individuelles, les accès à la formation et les évolutions de carrière doivent être équivalentes pour tous.
Comment préparer et accompagner l’introduction du principe de neutralité dans le règlement intérieur ?
Pour éviter de provoquer un clivage entre les salariés selon leurs origines, il est recommandé de mettre d’abord en place une concertation entre la direction, le management et les représentants du personnel. Cela peut être réalisé par la mise en place d’un groupe projet. L’objectif est de partager l’état des lieux des pratiques préjudiciables aux personnes ou à l’entreprise, puis de trouver les moyens de résoudre ces difficultés sans discriminer personne.
Par ailleurs, une rédaction inadaptée d’un règlement intérieur peut être « retoquée » par l’inspection du travail en charge de son contrôle. Pour ce faire, il est conseillé d’avoir une entrevue préparatoire au dépôt de cet ajout au règlement intérieur avec l’inspecteur du travail, pour contextualiser les restrictions apportées, les justifier et éventuellement amender le texte prévu.
En outre, l’adjonction d’une telle disposition dans un règlement intérieur peut se révéler totalement inefficace si les règles édictées ne sont pas appliquées. Pour ce faire, une formation des managers est indispensable, telle que le « Management de la diversité ». Formation à laquelle il est souhaitable d’associer les représentants du personnel, afin que le discours sur le droit soit le même pour tous. Cette formation peut être complétée par une « hotline » mise en place par la direction des ressources humaines pour les managers, afin de les conseiller s’ils sont confrontés à l’une des situations visées par le règlement intérieur.
Enfin, la communication auprès du personnel doit être envisagée, afin que tous soient informés² des règles retenues à l’égard des manifestations des convictions religieuses susceptibles de créer un trouble pour le personnel ou l’entreprise. La direction peut désormais utiliser l’intranet de l’entreprise et la messagerie électronique pour communiquer aux salariés les règles de neutralité inscrites dans son règlement intérieur (C. trav., art. R. 1321-1).
N’est-il pas moins risqué d’établir une chart. ou un guide sur le fait religieux dans l’entreprise ?
Certaines entreprises optent effectivement pour un guide. À travers cette approche, elles tentent d’aborder le sujet du fait religieux en entreprise sous un angle non disciplinaire. L’adjonction d’une disposition sur la neutralité dans un règlement intérieur n’est absolument pas obligatoire, l’entreprise demeure libre de l’y inscrire ou non. Elle peut opter aussi pour une chart. dépourvue de toute disposition disciplinaire, où ne figurent que des recommandations.
Mais attention, ce type de chart. ou guide ne relève plus du champ du règlement intérieur, et la violation de ses recommandations ou conseils ne peut être sanctionnée par l’employeur.
Cela ne signifie pas qu’en l’absence de disposition sur la neutralité dans un règlement intérieur, tout est permis. En effet, l’employeur peut toujours sanctionner une faute, mais celle-ci ne peut être constituée par la violation d’une disposition figurant dans un guide ou une charte. Ainsi, un salarié qui s’absente pour prier peut être sanctionné en raison d’un abandon de poste, mais pas pour la violation de la procédure d’autorisation préalable prévue par le guide. A contrario, un guide dont les dispositions sont édictées à peine de poursuites disciplinaires est une adjonction à un règlement intérieur, supposant la consultation régulière des institutions représentatives du personnel et sa communication à l’inspection du travail pour que les règles qu’il prévoit soient opposables au personnel.
Une autre possibilité consiste à mettre à jour son règlement intérieur, indépendamment du principe de neutralité, sans évoquer les pratiques religieuses. Il est donc envisageable de réviser ou compléter le règlement intérieur sur les autorisations d’absence, le respect des horaires, les demandes de congé sans solde, l’occupation des locaux communs, les tenues vestimentaires obligatoires, etc.
Ainsi, les choix pour l’entreprise sont multiples et en fonction des situations auxquelles elle est confrontée. Du guide de bonne conduite au règlement intérieur mis à jour, en passant par la chart. à vocation disciplinaire, la direction de l’entreprise peut ajuster le principe de neutralité à son contexte ou, s’il n’y a pas de sujet, tout simplement décider de ne rien faire.]