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États généraux de la justice : « le CPH est en difficulté et mérite d’être réorganisé » (Jérôme Gavaudan)

États généraux de la justice : « le CPH est en difficulté et mérite d’être réorganisé » (Jérôme Gavaudan)

Mis à jour le 21/07/2022

  • La rédaction de Liaisons sociales quotidien
  • Conseils de prud’hommes (CPH) renommés « tribunaux du travail », création d’un « référé garantie du salarié », intervention renforcée du parquet. Telles sont les principales mesures proposées pour la justice sociale par le comité des États généraux de la justice (EGJ), dans un rapport remis au président de la République le 8 juillet. Entretien sur l’avenir de la prud’homie avec Jérôme Gavaudan, membre du comité des EGJ et président du Conseil national des barreaux.
Portée

Jérôme Gavaudan

© Thomas APPERT

Quels sont les principaux constats des EGJ sur la justice prud’homale ?

Il faut rappeler à titre préliminaire que le comité des États généraux de la justice (EGJ) a décidé de ne pas faire la synthèse des différents groupes de travail, notamment celui de Jean-Denis Combrexelle sur la justice sociale et économique (le rapport du groupe de travail sur la justice économique et sociale, présidée par Jean-Denis Combrexelle, a été rendu public le 8 juillet, NDLR). Le comité s’est senti libre, avec l’objectif de donner de grandes orientations. Néanmoins, les orientations que nous avons retenues correspondent globalement à celles du rapport Combrexelle.

Notre constat est largement partagé. Les modifications apportées à la procédure prud’homale par les dernières réformes ne l’ont pas fluidifiée, et n’ont pas permis de réduire les délais. Dans un contexte où le nombre de procédures prud’homales a pourtant considérablement baissé, voire chuté : – 40 % dans certains conseils de prud’hommes, en raison de différents facteurs (barème Macron, ruptures conventionnelles, complexification de la procédure pour les salariés, représentation obligatoire en cause d’appel). Malgré cette baisse, les délais se rallongent.

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Le rapport évoque des « difficultés profondes ». Y a-t-il urgence ?

Si la situation est latente, il n’y a pas d’urgence absolue à faire une nouvelle réforme des prud’hommes. Il est néanmoins vrai que la situation s’éternise et que la juridiction prud’homale est en difficulté. Elle est mal structurée et mérite d’être réorganisée.

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Quels sont les objectifs portés par les propositions du comité des EGJ ?

Il s’agit de fluidifier la procédure prud’homale afin qu’elle puisse être rendue dans de bonnes conditions de temps et de qualité. Des magistrats, notamment des juges d’appel, estiment que la qualité des décisions rendues par les conseils de prud’hommes n’est pas à la hauteur des enjeux ou même de la complexité de la matière. D’où la volonté de repenser une procédure pour que les salariés obtiennent une décision de justice dans un délai raisonnable, avec une qualité satisfaisante. Une décision mal rédigée ne satisfait personne et fait l’objet d’un appel.

L’idée est aussi, de manière plus générale dans le rapport, d’aller vers un appel « réformation », auquel pour ma part je ne crois pas. À savoir juger uniquement la décision de première instance, et non l’affaire. Dans ce cadre, tout doit être dit en première instance.

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Pourquoi ne pas avoir préconisé le remplacement de la justice paritaire par des juges professionnels ?

Un consensus s’est dégagé autour de la tradition de conseils de prud’hommes composés de salariés ou d’employeurs connaissant le monde du travail et permettant de donner à cette justice très humaine et factuelle un sens profond. Il n’était pas question de revenir dessus. L’intérêt des juges non professionnels n’a pas été remis en cause. Ce n’est pas la peine de créer des conflits là où il n’y en a pas besoin. L’apport des salariés ou des employeurs au sein des bureaux de conciliation comme des bureaux de jugement, n’a pas véritablement fait débat.

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Et une présence renforcée des juges professionnels ?

Il y avait en effet la question de l’échevinage : est-ce qu’il ne serait pas intéressant qu’il puisse y avoir un juge professionnel qui soit systématiquement présent en phase de jugement ? Cela existe en Belgique. Il y aurait un intérêt à aller en ce sens, notamment concernant la qualité des décisions rendues. Un juge professionnel qui a été formé pour cela, en complément de la vision de terrain des juges paritaires, répondrait à la difficulté que nous avons soulevée précédemment.

Cela n’a finalement pas été proposé, en raison d’une possible interprétation comme une défiance vis-à-vis des salariés et des employeurs qui composent les juridictions. Il y a aussi une question de moyens : affecter des juges professionnels aux conseils de prud’hommes serait trop complexe dans le contexte actuel. Le rapport bénéfices/risques n’était pas favorable à une telle proposition.

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Le comité des EGJ souhaite renforcer la formation des conseillers prud’homaux. De quelle manière ?

En effet. L’idée est de s’adosser à l’École nationale de la magistrature (ENM), avec une formation plus approfondie sur les questions de procédure, et non pas d’apprendre le Code du travail aux juges prud’homaux.

Il s’agit plutôt de leur donner des clés de lecture sur les grandes questions du droit, de la procédure et de la rédaction des décisions. Cela permettrait de rendre ces dernières plus compréhensibles, afin d’éviter la frustration et l’incompréhension qu’elles peuvent parfois générer. Des décisions équilibrées, bien motivées et fondées en droit et en procédure permettront de réduire le taux d’appel et de réformation qui est très élevé en matière prud’homale.

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Le rapport suggère également de renommer les conseils de prud’hommes en « tribunaux du travail ». Dans quel but ?

À titre personnel, je trouve que les titres n’ont pas véritablement d’importance. Néanmoins, il y a une symbolique avec cette proposition : insister sur le rôle judiciaire de l’institution. On y fait du droit et on trouve des solutions juridiquement fondées. La mention du terme « travail » permettrait également de bien identifier la matière concernée. La « prud’homie » peut avoir des contours moins définissables, y compris par des juristes. Il y a également une volonté de rattacher les conseils de prud’hommes, sur un plan organisationnel, au tribunal judiciaire (lieu, greffe, etc.). Les chefs de juridictions privilégient cette organisation.

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Cela pourrait s’accompagner, selon le rapport, d’une « simplification radicale » de la procédure. Dans quelle mesure ?

L’idée est de revenir aux sources, à savoir une forme de fluidité. C’est par exemple le sens de la suppression des sections, que nous proposons. Actuellement, elles impliquent que l’on affecte tel ou tel conseiller dans telle ou telle section. Il peut ainsi y avoir de grandes disparités dans la durée de traitement des dossiers selon les sections, au sein d’un même conseil de prud’hommes. Organiser les tribunaux du travail autour de chambres permettrait de revenir à des bases plus simples. J’ai souvenir d’une époque où il n’y avait qu’un seul rôle au conseil de prud’hommes…

La question centrale est celle de savoir si les juges prud’homaux ont les moyens à leur disposition, notamment en nombre de greffiers. S’agissant de ces derniers, le comité propose de leur donner une plus grande maîtrise sur la mise en état. Ce qui serait une bonne chose, pour soutenir et accompagner les juges sans les remplacer ! Encore faut-il qu’ils ne soient pas noyés sous les dossiers et qu’ils aient du temps… le sujet est toujours le même. Nous nous sommes efforcés de garder à l’esprit l’enjeu budgétaire.

L’esprit du comité des EGJ a été de faire reconnaître les difficultés de la Justice et des personnes qui la composent. La Justice appartient au peuple français au nom duquel elle est rendue. L’objectif n’est pas de faire des économies ou d’inciter à ne plus saisir les prud’hommes ! Ce qui a pu être le cas dans des réformes précédentes, par exemple avec l’instauration de la médiation obligatoire. On n’apporte alors aucune réponse véritable au justiciable qu’il est pourtant impératif de remettre au cœur du système.

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Le rapport envisage la « césure » du procès prud’homal. En quoi consiste-t-elle ?

L’idée est de créer, au cours du procès et en parallèle, un processus qui n’est plus judiciaire en tant que tel, pour essayer de trouver un mécanisme de règlement alternatif du différend. On saisit, le procès continue, tout en préservant la possibilité de régler le conflit en dehors du système purement judiciaire.

Actuellement, on peut toujours revenir à une phase de conciliation au cours du procès prud’homal. Nous souhaitons le renforcer avec cette césure, qui interviendrait après qu’une ou plusieurs questions de principe aient été tranchées par le conseil de prud’hommes. Une fois qu’elles sont réglées par le juge, il est généralement plus simple de s’entendre sur les modalités. Un temps serait donc laissé aux parties pour le faire : la césure. On peut par exemple l’envisager une fois que l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement est acquise.

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Un nouveau « référé garantie » du salarié pourrait voir le jour. Quelle serait sa spécificité ?

Il part d’un constat : certains conseils de prud’hommes n’arrivent pas à organiser leurs procédures de référé et/ou restent sur du « très classique ». Par exemple, du salaire non payé. En droit, la compétence du juge des référés peut aller au-delà de cette évidence pure. En matière prud’homale, il y a parfois besoin d’un référé alors même que la contestation sérieuse est mise en avant en défense.

L’idée du « référé garantie » du salarié est de créer une voie de réelle rapidité, en élargissant ce qui existe déjà à d’autres situations. On peut penser par exemple à un référé provision pour un salarié licencié sur le fondement d’une décision administrative finalement annulée. Faut-il attendre deux ans pour en tirer les conséquences ? Le référé proposé par le comité pourrait avoir son intérêt dans ce type de situations. La question des moyens se posera à nouveau. Sans effort supplémentaire, cela ne marchera pas. Les salariés comme les employeurs ont pourtant besoin d’une justice prud’homale efficace et rapide. Elle mérite d’aller bien et vite.

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Le rapport mentionne l’intervention du parquet dans certains litiges. Pourquoi ?

Le parquet peut déjà intervenir, comme dans toutes les matières. Il est libre d’intervenir dans n’importe quel procès civil, mais cela ne se pratique pas. L’idée est d’identifier les points particuliers ou nouveaux. Typiquement, ce sont les affaires de laïcité ou de harcèlement. L’État, par l’intermédiaire du procureur de la République, peut être intéressé à donner sa position sur ces sujets. Et les juges y trouver un intérêt.

La proposition est un signal adressé au parquet : il se passe dans l’entreprise des sujets sociétaux auxquels il faut s’intéresser dès que le contentieux naît. Je pense au préjudice d’anxiété liée à l’exposition à l’amiante. Cela aurait été intéressant d’identifier le point et d’avoir une position du parquet. Elle est nationale et permet certainement d’unifier la jurisprudence.

Rapport du comité des États généraux de la justice, 8 juill. 2022 • Rapport du groupe de travail sur la justice économique et sociale, 8 juill. 2022

Des suites données au rapport dès la rentrée

L’exécutif s’est d’ores et déjà saisi du rapport remis par le comité des États généraux de la justice. À la demande du président de la République, le garde des Sceaux a engagé, dès le 18 juillet, une concertation avec l’ensemble des acteurs du monde judiciaire sur la base des conclusions du rapport. Suite à ces concertations, des « décisions concrètes et rapides » sont attendues dès la rentrée, de même que la mise en œuvre de « chantiers en profondeur avec les moyens nécessaires que la loi de programmation pour la justice aura à décliner », indique un communiqué de presse de l’Élysée du 8 juillet. Cette loi de programmation est annoncée par le ministère de la Justice « dès l’automne prochain ».