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Vers une présomption de démission en cas d’abandon de poste : entretien avec Marc Ferracci (député rapporteur du PJL Marché du travail)

Vers une présomption de démission en cas d’abandon de poste : entretien avec Marc Ferracci (député rapporteur du PJL Marché du travail)

Mis à jour le 26/10/2022

  • La rédaction de Liaisons sociales quotidien
  • Pourquoi intervenir sur les abandons de poste à l’occasion du projet de loi Marché du travail ? Comment a été construite la « présomption de démission » ? Le gouvernement et la majorité sont-ils sensibles aux doutes exprimés par les praticiens ? Telles sont les questions que nous avons posées au député Marc Ferracci (Renaissance), rapporteur du texte à l’Assemblée nationale. En cours d’examen au Parlement, ce dernier pourrait être définitivement adopté dans les prochaines semaines (v. l’encadré).
Portée

Mar Ferracci (Renaissance)

© Assemblée nationale

Initialement un premier amendement relatif à l’abandon de poste avait été déposé par le député Thiériot (LR). Une réflexion existait-elle dans la majorité sur ce sujet ?

En réalité, elle remonte plus loin que ce dépôt d’amendement en commission des affaires sociales par le député Thiériot. C’est une discussion qui avait déjà eu lieu au moment de la loi Avenir professionnel de 2018, portée notamment par le député Dominique Da Silva (Renaissance). C’est la raison pour laquelle ce dernier a été l’auteur de l’amendement du groupe Renaissance déposé en séance publique [qui consacre une « présomption de démission » en cas d’abandon de poste, NDLR].

Les réflexions sur l’abandon de poste sont nées de remontées de terrain partagées par beaucoup de parlementaires des différents groupes de la majorité et des Républicains (LR).

Justement, compte tenu de l’absence de données sur ce sujet, d’où vient votre conviction que le législateur doit intervenir ?

L’absence de chiffre est logique dans la mesure où le dispositif statistique existant ne permet pas un recensement des abandons de poste.

En vertu de ce qui est prévu dans le texte adopté à l’Assemblée nationale, les salariés faisant valoir des motifs valables à leur abandon de poste permettront de quantifier l’ampleur du phénomène. À partir du moment où la loi sera en vigueur, nous disposerons d’éléments chiffrés. Des voix concordantes venues du terrain ont justifié l’amendement. Elles indiquaient qu’il était nécessaire d’agir dans les prochains mois.

L’amendement du député Thiériot écartait de l’assurance chômage les salariés licenciés pour abandon de poste. Pourquoi avoir voulu le retravailler ?

Cet amendement ne donnait pas suffisamment de garanties, en particulier procédurales, aux salariés abandonnant leur poste de manière légitime. Pour des motifs qui peuvent s’apparenter à du harcèlement ou à une mise en danger de leur intégrité physique (santé, sécurité, etc.), par exemple. Il nous semblait que dans la rédaction originelle, ces garanties n’étaient pas suffisamment explicitées. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité retravailler cet amendement en demandant son retrait au moment des travaux en commission des affaires sociales.

Comment êtes-vous arrivés à la «présomption de démission» ?

Nous avons travaillé en coconstruction avec le Gouvernement, ayant besoin de l’expertise juridique des différents services. En particulier du ministère du Travail et celui de la Justice. C’est également en dialogue avec les groupes parlementaires, notamment avec ceux de la majorité, que nous avons fait évoluer le texte pour aboutir à l’amendement déposé en séance publique. Un travail Parlement-Gouvernement a donc eu lieu.

Comment les acteurs de l’emploi (services RH, salariés, etc.) se positionnaient sur ce sujet des abandons de poste ?

D’un côté les employeurs, et les organisations patronales, faisaient valoir le caractère fréquent du phénomène et la nécessité d’intervenir. Il nous a semblé important de tenir compte en particulier de la situation des petits employeurs. L’abandon de poste a des conséquences importantes dans ces entreprises, notamment la désorganisation du collectif de travail.

De l’autre côté, les organisations syndicales ou d’autres acteurs du monde du travail, s’interrogeaient sur l’ampleur du phénomène et les conséquences que le dispositif envisagé pourrait avoir sur les salariés. Les appréciations étaient donc polarisées, de manière assez classique.

Pourtant, de nombreux services RH font état de leurs doutes sur le mécanisme retenu…

J’ai effectivement entendu des craintes ou des inquiétudes sur la manière dont le dispositif pouvait fonctionner d’un point de vue procédural. En particulier sur le surcroît de litiges que cela peut générer. Mais on ne peut pas dire qu’il faut avoir une capacité à quantifier le phénomène et ne pas se donner les moyens de voir combien de cas vont être portés aux prud’hommes. Quand nous aurons une vision claire du nombre de contentieux, un bilan de la mesure pourra être établi et nous en tirerons des conséquences. J’attire tout de même l’attention sur le fait que les contentieux ont tendance à régresser depuis les ordonnances du 22 septembre 2017 et la mise en place du barème.

Sentez-vous une différence de perception entre petites et grandes entreprises sur l’utilité de la « présomption de démission » ?

C’est un élément intéressant. Distinguons le cas de la petite entreprise qui subit l’abandon de poste de la grande entreprise qui en fait une modalité de rupture du contrat de travail concurrente de celles qui existent déjà. C’est-à-dire qui termine l’abandon de poste par un licenciement pour faute grave. Pour ces accords implicites entre employeurs et salariés, générant une perte des indemnités, mais le maintien de l’assurance-chômage, la « présomption de démission » ne va rien changer puisqu’elle ne sera pas mobilisée. Il n’y a aucune raison qu’il en soit autrement. Rien ne retire à l’employeur la faculté de traiter un abandon de poste en faute grave. Les cas problématiques seront donc couverts sans remettre en question des pratiques existantes et consensuelles.

En cas d’abandon de poste « consensuel » et « organisé », le bénéfice de l’assurance-chômage sera donc maintenu ?

Lorsque vous êtes licencié, quel qu’en soit le motif, vous avez le bénéfice de l’assurance-chômage. Rien ne va changer là-dedans.

Le risque n’est-il pas de conflictualiser et/ou judiciariser des situations qui se finissent aujourd’hui en abandon de poste ?

J’attire votre attention sur le fait que le bénéfice de l’assurance chômage est par principe ouvert uniquement en cas de privation involontaire d’emploi, à certaines exceptions près concernant la démission «légitime». Il faut quand même avoir en tête ce principe fondamental. Il s’agit de bon sens : l’abandon de poste n’est pas une privation involontaire d’emploi. C’est une démarche à l’initiative du salarié. Lorsqu’elle est motivée par des raisons légitimes, nous voulons justement y apporter une réponse avec la procédure prévue dans l’amendement. Mais il ne faut pas inverser la logique. J’ajoute que le gouvernement a ouvert une possibilité de démissionner avec un projet professionnel pour pouvoir bénéficier de l’assurance-chômage.

Ajouté aux motifs existants de démission «légitime» prévus par l’assurance-chômage, cela me semble constituer un ensemble de dispositions qui préserve un équilibre entre les difficultés que peuvent connaître les entreprises face aux abandons de poste et la nécessaire liberté donnée à un salarié en difficulté dans son emploi de changer de trajectoire ou de se reconvertir.

Les CPH disposeraient d’un délai d’un mois pour statuer en cas de recours du salarié. Pensez-vous que ce délai est réaliste ?

Il n’a pas été choisi au hasard : il s’agit du délai qui vaut pour les prises d’acte. Par ailleurs, il est nécessaire d’avoir une appréciation plus claire du nombre de contentieux générés avant de se poser la question de l’engorgement des conseils de prud’hommes (CPH).

Le but de cet amendement est d’avoir une portée dissuasive et d’éviter les abandons de poste non justifiés par des raisons légitimes. Si cet aspect dissuasif fonctionne, en particulier chez les petits employeurs, je pense que cette question de l’engorgement se posera moins.

Pensez-vous que le texte peut-encore être amélioré ?

Oui. J’ai vu des amendements déposés, sur le volet procédural en particulier, qui méritent d’être discutés. Par exemple, le fait que la procédure de mise en demeure par l’employeur soit assortie d’une demande de reprise de poste et de justification d’absence dans un délai fixé par l’employeur et borné par décret en Conseil d’État (l’amendement a été adopté par le Sénat avec l’approbation du Gouvernement, NDLR). Ce sont des choses qui méritent d’être regardées. Cette mesure a été correctement défendue avec des arguments qui peuvent s’entendre.

Le sénateur Pellevat (LR) propose d’aller plus loin en permettant aux employeurs d’obtenir des dommages-intérêts en cas d’abandon de poste. Y êtes-vous favorable ?

Non. Il me semble que faire perdre à un salarié le bénéfice de l’assurance-chômage est déjà suffisamment impactant.

Concernant les inquiétudes exprimées par les syndicats sur les abandons de poste «légitimes», un enrichissement du texte est-il à l’ordre du jour ?

Cela nous renvoie à la capacité de la procédure à fonctionner. Si c’est le cas, je pense que les craintes ne sont pas fondées. Rappelons-le : c’est une procédure qui est similaire à celle de la prise d’acte, du moins en termes de délai. Il faudrait donc poser la question à ces acteurs : la procédure de prise d’acte vous semble-t-elle dysfonctionnelle ?

Le Sénat a profondément modifié le projet de loi en première lecture, notamment sur la partie assurance-chômage. Pensez-vous qu’un compromis soit possible en CMP ?

Le but est évidemment d’avoir une commission mixte paritaire (CMP) conclusive. Je pense qu’il y a des voies de passage, que je ne vais pas détailler ici pour réserver la primeur de la discussion à mes homologues rapporteurs au Sénat. Je ne serais ni optimiste ni pessimiste, mais la volonté est bel et bien d’aboutir. À ce stade, nous devons nous mettre à discuter et cela permettra de voir où sont les compromis possibles.

Que prévoit actuellement le texte ?

Selon le projet de loi tel qu’adopté le 25 octobre par les sénateurs, « le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai. Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil de prud’hommes».

Dans ce cas, « l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine».

Le PJL Marché du travail en cours d’examen au Sénat

Le projet de loi Marché du travail a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 11 octobre 2022 (v. l’actualité nº18648 du 10 oct. 2022), puis par le Sénat le 25 octobre. La « présomption de démission » n’a pas été profondément modifiée par la chambre haute, à l’exception d’un amendement permettant de « sécuriser » la procédure auquel le gouvernement a émis un avis favorable. Selon les informations de Liaisons Sociales Quotidien, la commission mixte paritaire (CMP) devrait se réunir le 9 novembre prochain pour tenter de trouver un compromis entre parlementaires.