• Gabriel Artéro et Sébastien Nolf, CFE-CGC métallurgie : « Nous voulions construire un système de classification plus équitable »
Semaine Sociale Lamy

Gabriel Artéro et Sébastien Nolf, CFE-CGC métallurgie : « Nous voulions construire un système de classification plus équitable »

Gabriel Artéro et Sébastien Nolf, CFE-CGC métallurgie : « Nous voulions construire un système de classification plus équitable »

Mis à jour le 29/03/2022

  • La rédaction de la Semaine Sociale Lamy
  • La branche de la métallurgie, qui disposera, à compter du 1er janvier 2024, d'une convention collective nationale unique, a revu entièrement son système de classification. Le point avec une des organisations syndicales signataires de l'accord du 7 février 2022, la CFE-CGC. Entretien avec Gabriel Artéro, président de la Fédération CFE-CGC métallurgie et Sébastien Nolf, juriste au sein de cette fédération.
Portée

Gabriel Artéro, président de la Fédération CFE-CGC métallurgie et Sébastien Nolf, juriste au sein de cette fédération

Semaine sociale Lamy : Quel est le paysage conventionnel actuel ?

Gabriel Artéro et Sébastien Nolf : La branche de la métallurgie regroupe environ 42 000 entreprises ou établissements, ce qui représente environ 1,6 million de salariés. Plus de 90 % des entreprises sont des PME et les entreprises de plus de 500 salariés ne représentent pas plus de 1 % de la branche. Cependant une trentaine de groupes font près de la moitié des effectifs. La structure du système conventionnel de la branche n’a pas été revue depuis les années 1970. Elle se compose de 78 conventions collectives, dont 76 sont des conventions territoriales, de conventions collectives nationales pour la sidérurgie et les ingénieurs et cadres de 1972 et de l’accord national de 1975 sur les classifications.

SSL : Pourquoi avoir décidé d’engager cette négociation ?

G. A. et S. N. : L’UIMM y pensait de son côté depuis 2013. En 2014, elle nous contacte pour réfléchir paritairement à un new deal social de la branche. Nous sommes alors face à un mille-feuille conventionnel tel que plus personne ne s’y retrouve : 76 conventions, 25 accords nationaux autonomes, de très nombreux avenants, bref le résultat de notre histoire qui s’est construite à partir de nos territoires. Pourquoi pas une convention unique pour les cadres et les non-cadres ? Actuellement, il est très difficile de passer d’une grille à l’autre, le passage au statut cadre nécessitant une promotion souvent hypothétique. Il n’y a pas de continuum entre cadres et non-cadres ce qui bloque les évolutions de carrières.

SSL : Comment avez-vous procédé ?

G. A. et S. N. : Nous avons donc décidé de partir d’une page blanche et avons négocié, mi-2016, un accord de méthode de branche construit autour de neuf briques élémentaires, dont une sur les classifications (Semaine sociale Lamy no 1757, p. 7). La méthode retenue est la suivante : on prend chaque brique l’une après l’autre, on la négocie et on aboutit sur un texte « mis en réserve » avant de commencer à s’intéresser à la suivante. L’objectif de cette longue démarche étant d’arriver à un système transparent, équitable et compréhensible pour toutes les parties. Les ordonnances de 2017 sont venues bouleverser tout ce système mais elles nous ont obligés à distinguer les sujets d’ordre public des autres. Nous aurons demain une convention collective nationale et deux textes autonomes sur la santé sécurité et les conditions de travail et sur la formation professionnelle. Le texte national traite essentiellement des classifications, des salaires minima hiérarchiques, du temps de travail, de la protection sociale, du contrat de travail et du dialogue social.

SSL : Comment s’est déroulée la négociation sur la classification ?

G. A. et S. N. : La classification nous a pris deux années de négociation. Nous avons mis en place, dans un premier temps un groupe de travail paritaire composé d’un sociologue du travail, de juristes et de représentants syndicaux (patronat et syndicats). Outre le travail réalisé sur la construction des critères, nous avons fait un important travail de sémantique. Nous voulions être sûrs que tout le monde entende la même chose, que le nouveau texte soit le moins interprétable possible. Chaque mot a été pesé et justifié explicitement. Ce qui a donné lieu à l’élaboration d’un glossaire et d’un guide paritaire d’accompagnement.

SSL : Quelles difficultés soulève le système actuel ?

G. A. et S. N. : Aujourd’hui le système de classification est parfois arbitraire, à tous les niveaux, et manque de transparence. De ce fait, il est souvent impossible de mettre en place une gestion des ressources humaines à partir des seules grilles actuelles de classification. Cela se traduit par la mise en place de méthodes d’entreprises différentes en parallèle de celles de la convention collective. Par exemple dans des groupes internationaux qui pratiquent le branding, le grading, le ranking, etc. et mélangent classification des postes et compétences des salariés pour gérer leurs ressources humaines. Nous voulions construire un système de classification plus équitable qui donne à chaque salarié une plus grande visibilité sur ses perspectives de progression professionnelle.

SSL : En quoi consiste la nouvelle classification ?

G. A. et S. N. : Dans la nouvelle méthode de classification, chaque emploi est décrit puis classé au regard de la réalité de cet emploi. La logique est de partir du poste de travail. L’évaluation de l’emploi tenu est réalisée sur la base de critères classants applicables à tous les emplois, quels que soient leur intitulé et la nature du travail effectué. Le classement est ainsi réalisé sur une échelle unique, commune à l’ensemble des emplois. Les anciennes conventions collectives de 1972 et de 1975 faisaient référence à quatre critères classants. Nous en avons retenu six dans la nouvelle convention : la complexité de l’activité, les connaissances, l’autonomie, la contribution, l’encadrement-coopération et la communication. Afin de permettre une analyse précise des emplois, dans l’entreprise et dans la branche, dix degrés d’exigence sont définis pour chacun des critères classants, traduisant ainsi la progressivité du niveau d’exigence des emplois dans chacun de ces critères. Chaque degré correspond à un point et l’addition des points obtenus pour l’ensemble des critères permet de déterminer la cotation d’un emploi. Prenons par exemple le critère de l’autonomie. Dans le degré 1 « l’emploi requiert d’exécuter des tâches simples prédéfinies sous contrôle permanent » et dans le degré 10 « l’emploi nécessite de définir des orientations stratégiques et les moyens associés avec validation par les résultats ». Le système de cotation va donc de 6 à 60 et donne au salarié sa position dans la grille de classification, position à laquelle est assorti un salaire minimal hiérarchique. Les cotations ainsi obtenues sont regroupées en 18 classes d’emplois. Le classement d’un emploi est désigné par la lettre du groupe d’emplois et par le numéro de la classe, dont cet emploi relève. Les cadres relèvent par exemple des groupes d’emplois F, G, H et I.

SSL : Comment avez-vous conçu les six critères ?

G. A. et S. N. : Nous souhaitions mettre en place une méthode de classement qui garantisse au mieux l’équité entre les salariés de la branche. C’est pourquoi, la méthode retenue est fondée sur la réalité des activités réalisées et sur l’analyse du contenu des emplois. Les critères ne sont pas discriminants. Par exemple, nous avons retenu un critère « encadrement-coopération » et non pas seulement encadrement justement pour ne pas mettre en avant que les « managers » comme c’est trop souvent le cas. Nous avons fait des choix explicites. Par ailleurs, chaque degré doit introduire un passage de l’un à l’autre, permettre un continuum.

SSL : Pourquoi ne pas avoir retenu un système d’emplois repères ?

G. A. et S. N. : Les métiers qui composent la branche de la métallurgie sont trop vastes et trop disparates. Il nous était impossible de trouver des emplois repères valables pour toute la branche. Mais en même temps, nous voulions un système suffisamment souple, robuste et universel pour couvrir tous les métiers qui existent dans la branche. La grille de lecture que nous avons construite n’a toutefois de sens que s’il existe dans les entreprises des fiches emplois.

SSL : Justement, comment mettre en œuvre la nouvelle classification dans les entreprises ? Quelles sont les étapes clé ?

G. A. et S. N. : Préalablement à la cotation de l’emploi, l’employeur va devoir établir une fiche descriptive de cet emploi en français. La tentation est grande de faire appel à des cabinets extérieurs pour la construction de ces fiches. Ça ne marchera pas. Pour nous, la fiche de poste doit être réalisée par au moins un trinôme de personnes qui connaissent le terrain : un chef de production, un RH de terrain, un professionnel de la fonction, etc. Nous conseillons aussi la conclusion d’un accord de méthode avec les représentants du personnel pour cette étape primordiale. A "fiche pourrie, cotation pourrie". Or l’employeur devra notifier au salarié le classement de son emploi et, ce dernier pourra lui adresser une demande d’explications concernant le classement retenu. C’est donc un travail immense mais fondamental qui s’ouvre pour les entreprises. Par exemple, dans un grand groupe on part de 50 000 salariés pour arriver à environ 2 500 fiches de poste à coter. D’ici à 2024 donc, les entreprises vont devoir faire un travail d’analyse des postes. Pour cela, l’employeur va devoir répondre à la question suivante : qu’est-ce que j’attends de tel ou tel emploi en création ou quelles sont les activités de mes emplois actuels ? Sachant que dans le nouveau système on cote un poste, pas une personne. Cela lui permettra de rédiger un descriptif de l’emploi mentionnant les activités significatives de l’emploi, la nature et le périmètre des responsabilités exercées et la description des relations de travail. Le CSE doit bien évidemment être consulté. L’employeur doit ensuite coter le descriptif de l’emploi critère par critère. Il doit réaliser une fiche d’emploi par poste. La question va donc se poser de savoir jusqu’à quel degré de granularité descendre pour être sûr de bien prendre en compte toutes les activités significatives de l’emploi considéré. Sachant qu’en entrant dans la nouvelle classification, le salarié ne pourra pas voir son salaire réel baisser, seulement augmenter. Les salariés dont les postes sont actuellement sous-cotés vont donc voir leur salaire progresser et ceux dont l’activité réelle ne correspond plus à l’emploi qu’ils occupent verront leur salaire maintenu sauf en cas de déclassement accepté par le salarié dans le cadre d’un avenant contractuel.

SSL : Que deviennent les accords et conventions territoriales de la métallurgie ?

G. A. et S. N. : Tout ce qui est traité dans la convention nationale est gravé dans le marbre. On ne peut y toucher au niveau territorial. Pour autant des spécificités locales et territoriales peuvent exister. Par exemple une prime de vacances, la journée de la voile en Charente-Maritime ou des primes de panier de jour. Elles pourront être abordées dans le cadre d’un accord autonome. Ainsi, d’ici à juin 2022, toutes les chambres territoriales devraient avoir conclu un accord de révision-extinction avec, le cas échéant, une partie conservant les spécificités négociées territorialement. Seulement une vingtaine de conventions collectives ont des différences significatives. Nous aurions aimé négocier le maintien de ces spécificités territoriales avant le 21 décembre 2021 mais il fallait terminer la négociation. Si les chambres patronales territoriales ne faisaient véritablement aucun effort pour les maintenir localement alors nous serions amenés à devoir envisager sérieusement de dénoncer la convention nationale avant même qu’elle soit applicable! C’est la raison pour laquelle les trois organisations syndicales signataires ont demandé à l’UIMM de surseoir à la demande d’extension jusqu’en septembre 2022.

Propos recueillis par Sabine Izard et Françoise Champeaux