Xavier Pignaud
Avocat associé, Rigaud Avocats
Vincent Alazard
Docteur en droit, Avocat, Rigaud Avocats
La loi « Évin » impose des obligations à la charge essentiellement des organismes assureurs, mais aussi des employeurs, afin d'améliorer les droits des assurés. Ainsi, dans certains cas, l'organisme assureur doit prendre « en charge les suites des états pathologiques survenus antérieurement à la souscription du contrat » d'assurance (art. 2), ou continuer « le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant » l'exécution du contrat d'assurance résilié (art. 7).
À la suite d'une décision de la Cour de cassation ayant mis en exergue certains écueils de cette réglementation, le législateur a intégré un article 7-1 à la loi « Évin ». L'arrêt commenté précise les modalités d'application de cette disposition spécifique.
GENÈSE DE L'ARTICLE 7-1
Dans un arrêt « Jeanne Lanvin » du 22 mai 2001 (2) , la Cour de cassation a écarté l'application de l'article 7 de la loi « Évin » au motif que la « mort de l'assuré » constituerait, par nature, un nouveau risque qui ne peut donc pas avoir de lien avec les éventuelles prestations antérieures (3) .
Ainsi, un organisme assureur dont le contrat a été résilié et qui continue le versement de prestations liées à une incapacité ou une invalidité conformément à l'article 7, ne serait pas contraint de maintenir sa garantie décès. Il en résultait qu'en l'absence de nouvel organisme assureur, les ayants droit du salarié décédé après une période d'incapacité ou d'invalidité pouvaient se retrouver privés de prestations.
De même, en cas de concours avec un nouvel organisme assureur sous l'empire duquel le décès est survenu, ce dernier devrait, en principe, prendre en charge les prestations y afférentes quand bien même le décès serait lié à un état antérieur indemnisé par l'ancien organisme assureur (4) .
Dans ces circonstances, un article 7-1 a été inséré dans la loi « Évin » par une loi du 18 juillet 2001 (5) , selon lequel, en synthèse : « Lorsque des assurés (...) sont garantis collectivement (...) dans le cadre d'un ou de plusieurs contrats (...) comportant la couverture des risques décès, incapacité de travail et invalidité, la couverture du risque décès doit inclure une clause de maintien de la garantie décès en cas d'incapacité de travail ou d'invalidité. La résiliation ou le non-renouvellement du ou des contrats (...) sont sans effet sur les prestations à naître au titre du maintien de garantie en cas de survenance du décès avant le terme de la période d'incapacité de travail ou d'invalidité (...). »
L'organisme assureur dont le contrat a été résilié doit en conséquence maintenir sa garantie décès en cas d'incapacité de travail ou d'invalidité. Cette obligation est-elle conditionnée à un lien entre le décès et les éventuelles prestations versées antérieurement ?
Dans une décision du 22 janvier 2009 (6) la Cour de cassation a considéré, en se fondant sur l'article 7-1, qu'« en matière de risque décès, seule la mort de l'assuré est déterminante du droit au versement des prestations ». Ce qui était valable pour la garantie décès, s'appliquerait donc aussi à son maintien : le décès constitue par nature un nouveau risque. Ainsi et de manière plus explicite, la Cour de cassation a jugé, le 11 décembre 2014 (7) , que l'article 7-1 « n'exige ni que le décès soit consécutif à la maladie ou à l'invalidité dont le salarié était atteint, ni que la maladie ou l'invalidité ait été déclarée au premier assureur ». Aussi, la Cour a estimé que l'organisme assureur dont le contrat a été résilié devait prendre en charge le décès dès lors que l'assuré était en incapacité avant la résiliation du contrat d'assurance et ce jusqu'à son décès, sans qu'aucun fait générateur commun ne soit à démontrer.
PLURALITÉ DE CONTRATS D'ASSURANCE
Dans la présente affaire, une société a souscrit deux contrats d'assurance auprès de deux organismes assureurs distincts :
- l'un couvrant les risques incapacité de travail et invalidité ;
- l'autre garantissant le décès et la perte totale et irréversible d'autonomie. Ce dernier a été résilié à compter du 1er janvier 2013 et la société a conclu un autre contrat garantissant le risque décès auprès d'un troisième organisme assureur.
Un salarié a été placé en arrêt de travail avant la résiliation du premier contrat. Des indemnités journalières complémentaires lui ont été versées de manière continue jusqu'à son décès survenu sous l'empire du second contrat.
Tant le nouvel organisme assureur que l'ancien refusent leur garantie décès. Ils sont alors assignés par les ayants droit du salarié.
Le Tribunal judiciaire de Quimper a estimé que le décès devait être pris en charge par le nouvel organisme assureur. Ce dernier interjette appel au motif, notamment, que l'article 2 de la loi « Évin » ne peut pas prévaloir sur l'article 7-1. La Cour d'appel de Rennes constate :
- qu'avant la résiliation du premier contrat, le salarié a été placé en arrêt de travail, et ;
- que cet arrêt a été pris en charge par l'organisme assureur couvrant l'incapacité jusqu'au jour du décès.
Après avoir expressément écarté l'application de l'article 2 de la loi « Évin », la Cour en conclut que l'ancien organisme assureur couvrant le risque décès était tenu de maintenir sa garantie conformément à l'article 7-1 (8) .
Ce dernier se pourvoit en cassation au motif principalement que les garanties incapacité et invalidité devraient être souscrites auprès de l'organisme assureur couvrant le décès. À cet égard, l'article 7-1 vise les assurés garantis « dans le cadre d'un ou plusieurs contrats (...) comportant la couverture des risques décès, incapacité de travail et invalidité ». Faut-il alors comprendre que la mention « un ou plusieurs contrats » permet la souscription desdites garanties auprès de différents organismes assureurs ?
La Cour de cassation répond par l'affirmative dans sa décision du 21 septembre 2023 au motif que « le maintien de la garantie décès, qui présente un caractère autonome, s'impose à l'assureur, y compris lorsque les garanties incapacité de travail et invalidité ont été souscrites par l'employeur auprès d'un autre assureur » (9) . Ainsi, l'organisme assureur couvrant le décès doit maintenir sa garantie quand bien même les risques incapacité et invalidité n'auraient pas été couverts par ce dernier.
Or, l'article 7-1 impose à l'organisme assureur, dont le contrat a été résilié, la couverture à tout moment de ses engagements par des provisions représentées par des actifs équivalents. L'organisme assureur couvrant uniquement le décès devrait donc constituer des provisions au titre d'un maintien de garantie alors même qu'il ignore potentiellement si le salarié a été placé en incapacité ou invalidité. Même si un tel schéma assurantiel n'est pas fréquent, cette décision peut complexifier la mise en œuvre des obligations réglementaires des organismes assureurs. Une solution pourrait alors consister à imposer contractuellement la déclaration en cas de réalisation de ces risques.